De Piaget aux neurosciences : une nouvelle psychologie de l’enfant

Grandir, apprendre, régresser : le cerveau de l’enfant n’avance pas toujours en ligne droite

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Pourquoi mon enfant comprend-il quelque chose un jour, puis semble l’oublier le lendemain ?
Pourquoi alterne-t-il entre des raisonnements brillants et des réactions déroutantes ?
Ces allers-retours, ces zigzags du développement, ne sont pas des anomalies, mais des signes de maturation.                                                                                                                                     De Jean Piaget aux neurosciences modernes, la psychologie de l’enfant nous montre aujourd’hui un cerveau en mouvement permanent : vivant, émotionnel et profondément humain.

 

1.Piaget, le fondateur : comprendre pour mieux grandir

         « L’intelligence, c’est ce que l’on utilise quand on ne sait pas quoi faire. » – Jean Piaget

Dans les années 1930, Jean Piaget, psychologue et biologiste suisse, révolutionne la vision de l’enfance.
Il montre que l’intelligence n’est pas innée ni transmise comme un simple héritage : elle se construit.

Selon lui, chaque enfant passe par quatre grands stades de développement :

  1. Sensori-moteur (0-2 ans) : l’enfant agit pour comprendre.
  2. Préopératoire (2-6 ans) : il pense avec des images et des mots, mais reste dominé par les apparences.
  3. Opérations concrètes (6-12 ans) : il raisonne sur des objets réels et comprend les relations logiques.
  4. Opérations formelles (dès 12 ans) : il manipule des idées abstraites, peut raisonner sur l’hypothétique.

Cette conception, dite “en escalier”, a structuré toute la psychologie du XXᵉ siècle.
Mais les découvertes récentes ont nuancé cette vision trop linéaire.
Le développement ne suit pas toujours un ordre parfait — il avance par vagues, rebonds, et ajustements.

Zoom sur une expérience culte : les verres de Piaget

Piaget demandait à des enfants de 5 et 7 ans de comparer deux verres contenant la même quantité d’eau.
Puis, il versait l’eau d’un des verres dans un récipient plus étroit et plus haut.
Le plus jeune disait : « Il y en a plus ici, regarde, c’est plus haut ! »
Le plus âgé répondait : « Non, c’est pareil. »

Pour Piaget, cette expérience montrait que le raisonnement logique émerge avec l’âge,
quand l’enfant apprend à résister à l’intuition visuelle.
Mais les neurosciences ont depuis montré que cette capacité dépend aussi de l’inhibition cérébrale
la faculté du cerveau à freiner une impression trompeuse pour raisonner juste.

 

2. Le cerveau en mouvement : la fin du développement “en escaliers”

Les travaux contemporains, notamment ceux de Robert Siegler et Stanislas Dehaene,
ont remplacé l’image de “l’escalier” par celle de “vagues qui se chevauchent”.
Un enfant peut raisonner logiquement dans une situation, puis retomber dans une intuition plus naïve le lendemain.
Et c’est normal.

Les neurosciences expliquent ce phénomène par la plasticité cérébrale :
le cerveau des enfants n’est pas figé ; il essaie, échoue, réorganise, apprend à apprendre.
Chaque nouvelle connaissance entre en compétition avec les anciennes.
C’est ce dialogue interne — entre passé et nouveauté — qui construit la pensée.

« Le cerveau de l’enfant n’est pas un vase qu’on remplit, mais un feu qu’on allume. » – Montaigne

 le cerveau qui se reprogramme

  • Le cortex préfrontal, zone du contrôle et du raisonnement, mûrit jusqu’à l’âge de 25 ans.
  • Les aires visuelles et sensorielles, elles, se stabilisent beaucoup plus tôt.
  • Les neurones miroirs, découverts dans les années 1990, expliquent la capacité des enfants à apprendre par imitation et empathie.
  • Le cerveau est un système dynamique : il se réorganise en fonction de l’expérience, de l’émotion et de l’environnement.

Parole d’expert : “L’enfant apprend en zigzag”

Pr. Alain Berthoz, neuroscientifique au Collège de France

Q : Pourquoi les apprentissages des enfants semblent-ils parfois irréguliers ?

Parce que le cerveau n’avance pas d’un seul bloc. Certaines fonctions, comme l’attention ou la mémoire de travail, se développent à des rythmes différents. Il faut du temps pour que ces systèmes se coordonnent.

Q : Faut-il s’inquiéter des “régressions” ?

Non, elles sont nécessaires. Une régression est souvent le signe que le cerveau intègre une nouveauté.
Le système se réorganise, comme un ordinateur qui redémarre après une mise à jour.

 

4. Quand les émotions deviennent des moteurs d’intelligence

Longtemps, on a opposé raison et émotion.
Aujourd’hui, les neurosciences de l’affect montrent au contraire qu’il n’y a pas de cognition sans émotion.
L’enfant apprend mieux quand il se sent en sécurité, valorisé et compris.

Les émotions jouent un rôle de boussole cérébrale :
elles orientent l’attention, renforcent la mémoire et motivent la persévérance.
Quand un élève est encouragé, félicité, écouté, son cerveau libère de la dopamine,
hormone du plaisir et de la curiosité.
C’est elle qui transforme l’effort en satisfaction.

« Le plaisir d’apprendre précède le savoir. » – Boris Cyrulnik

À l’inverse, la peur ou le stress bloquent le cortex préfrontal,
empêchant la réflexion et favorisant les réponses impulsives.
C’est pourquoi l’encouragement et l’écoute bienveillante sont bien plus efficaces que la pression ou la punition.

– Clés pour les parents

Accepter les zigzags.
Un enfant qui “oublie” une compétence en train d’être apprise n’est pas en régression, mais en réorganisation.

Valoriser la démarche, pas seulement le résultat.
Dire “Tu as bien cherché” vaut souvent mieux que “C’est bien, tu as trouvé”.

Donner le droit à l’erreur.
L’erreur n’est pas un échec : c’est une étape du raisonnement.

Créer du lien émotionnel.
Un enfant écouté et encouragé apprend plus vite, plus durablement et avec plus de confiance.

 

 5. Le cerveau social : apprendre avec et par les autres

Les recherches récentes montrent que l’intelligence est aussi collective.
Dès 3 ans, les enfants sont sensibles à la coopération : ils partagent, imitent, se synchronisent.
Apprendre n’est pas seulement accumuler des savoirs, mais aussi intégrer les codes du vivre ensemble.

Les expériences du psychologue américain Michael Tomasello ont montré que,
dès la petite enfance, les enfants cherchent à comprendre les intentions des autres,
et non pas seulement leurs actions.
Cette compréhension empathique est le socle de la moralité, du langage et de la coopération.

« Le cerveau humain est un organe social. Il se construit dans la relation. » – Daniel Siegel

 

Conclusion : une intelligence vivante, émotionnelle et collective

De Piaget aux neurosciences, la psychologie de l’enfant a parcouru un long chemin.
Nous savons désormais que le développement n’est pas un escalier, mais un chemin sinueux,
fait d’essais, d’erreurs, de bonds, d’émotions et de partages.

Chaque étape, chaque détour, chaque “regression” apparente prépare une réorganisation plus profonde.
L’intelligence n’est pas un état, mais un mouvement : une danse entre la raison, le corps et le cœur.

« L’enfant n’est pas un adulte miniature : c’est un être en construction, et sa logique, à sa manière,                                est déjà une sagesse. »

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